sexta-feira, 2 de março de 2012

Do divã ao tribunal.

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Judith Miller et sa soeur oubliée: Sibylle Lacan. Un procès contre Elisabeth Roudinesco

Je sais bien que les procès intellectuels n’ont pas bonne presse mais hier, 16 novembre 2011, à la 17e chambre, j’ai assisté à une scénographie étrange. Judith Miller, 70 ans, visage en lame de sabre sans le moindre affect apparent mais ravagée de l’intérieur, convaincue de sa bonne foi et certaine de détenir toute la vérité sur l’oeuvre de son père était dans le prétoire entouré de son fils et de son mari, Jacques Alain Miller, sourire méprisant aux lèvres, au milieu d’une cohorte d’épigones.
Tout ce petit monde poursuivait en justice l’historienne et universitaire Elisabeth Roudinesco, visiblement émue. Elle avait commis le péché dans son dernier essai, Lacan envers et contre tout, de souligner qu’un jour Lacan “eût souhaité” des funérailles catholiques, lui le matérialiste athée, proche de sa mère Jenny Aubry, attaché comme on sait au rituel de l’Eglise romaine depuis toujours. Il s’était marié à l’Eglise avait voulu faire annuler par le pape son premier mariage et il avait baptisé tous ses enfants, dont Judith qui fit sa communion. Il avait un frère bénédictin qu’il aimait beaucoup, se disait «fils de curé» et pensait que la religion catholique romaine triompherait de tout.

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Un procès sur une phrase? Un procès pour diffamation? Tout cela serait loufoque si le droit ne permettait pas à chaque citoyen d’un état démocratique de saisir la justice pour tout et n’importe quoi. Donc Judith Miller et les siens se sont sentis diffamés, humiliés, indignés qu’une telle phrase ait été écrite. Et les avocats furent contraints de se livrer à une véritable joute sur des mots, des accents circonflexes et un imparfait du subjonctif. Georges Kiejman démontra, Grévisse à l’appui, qu’il ne s’agissait pas dans cette phrase objet de la plainte d’une référence à des volontés exprimées mais d’une supposition qui renvoie antérieurement à ses derniers moments à l’imaginaire lacanien, à l’importance qu’il accordait à la pompe de la religion catholique. Homme paradoxal.
Christian Charrière-Bournazel, avocat des Miller, n’avait guère travaillé son dossier. Il est arrivé les mains dans les poches, mondain et rieur, grossier parfois, pressé d’en finir, persuadé comme ses clients d’avoir raison contre la méchante historienne. Et de la brocarder en lui donnant des leçons de style : pourquoi pas une fessée? Et de rire lorsque son confrère, Georges Kiejman - ton grave et parole ferme - fit un lapsus en confondant le nom de Roudinesco avec celui de Lacan. Et la meute était là derrière, prête à bondir sur l’avocat.
Pourtant, force est de constater que Kiejman, soutenu d’ailleurs par sa consoeur, Bénédicte Amblard (qui plaidait pour le Seuil et son PDG, Olivier Bétourné), livra une plaidoirie longue et érudite, rappelant que Judith Miller, philosophe sans oeuvre et se regardant elle-même comme une “bâtarde” - parce qu’elle était née sous un autre nom que celui de son père -, n’avait jamais rien produit qu’une Album de photographies de famille et que son époux, excellent transcripteur des séminaires de Lacan, n’avait pas, lui non plus, produit d’oeuvre importante : sa Vie de Lacan, feuilleton en 24 pages écrites à la va vite au mois d’août dernier sur un ton rageur ne saurait en effet rivaliser avec l’oeuvre d’Elisabeth Roudinesco, ni avec les 800 pages de sa biographie de Lacan rédigée en 1993 (Fayard et pochothèque) et traduite dans le monde entier. Ouvrage de référence donc qui fait pâlir de haine et d’envie cette famille qui entend faire main basse aujourd’hui en France sur la liberté d’expression dans la plus pure tradition des pays totalitaires.
J’ai eu froid dans le dos quand Judith Miller – apportant une confirmation supplémentaire à la plaidoirie de Kiejman, prétendant détenir le vrai et le juste concernant son père -, a expliqué que la liberté d’expression n’autorisait pas un auteur à “dire n’importe quoi”. Mais bien sûr que si qu’on a le droit en démocratie de dire n’importe quoi. Heureusement. A ceci près que Kiejman démontra qu’Elisabeth Roudinesco ne disait pas n’importe quoi sinon dans l’imaginaire de l’accusatrice en proie à la persécution. On a même le droit de blasphémer et d’envoyer Dieu aux enfers. Mais on n’a pas le droit de calomnier, d’insulter, de tirer à vue sur une personne comme le fait la famille Miller en permanente éructation.
Donc vive le droit de dire n’importe quoi!
Le moment le plus émouvant fut celui où l’autre fille de Lacan, Sibylle Lacan, 70 ans, soeur oubliée, bannie même de la mémoire des Miller, née du premier mariage de Lacan, presqu’en même temps que Judith et auteure d’un beau livre sur son père (Un père, Gallimard, 1994), tenta de s’exprimer. Assise dans le prétoire, telle une intruse, elle se mit à sangloter à l’évocation de l’enterrement de son père. Elle se souvenait, comme elle raconte dans son livre, que la question centrale de ce procès était refoulée : “L’enterrement de mon père fut doublement sinistre. Profitant de mon hébétude (...) Judith prit seule la décision de cet enterrement “dans l’intimité”, de cet enterrement-rapt annoncé après coup dans la presse et où je dus subir la pression de l’Ecole de la cause (école fondée par Jacques-Alain Miller). L’appropriation post-mortem de Lacan, de notre père débutait.”
(Le rapt de la mémoire et de l'histoire de Lacan par Judith a d'ailleurs été une des points forts de l'argumentaire de Kiejman). N’ayant pas été cité comme témoin, Sibylle Lacan ne put prendre la parole mais ses larmes montraient bien, comme le rappela calmement Elisabeth Roudinesco, que le biographe et l’historien sont toujours confrontés à des tragédies familiales et à la haine qu’un clan voue à un autre clan.
Je ne connaissais pas cette histoire mais Sibylle m’a ému comme elle a ému l’assemblée qui était là à l’exception de la meute qui ricanait.
Procès ridicule, oui, mais belle plaidoirie, beau moment de prétoire et l’on s'efforcera de pardonner à maître Charrière-Bournazel son incapacité à entendre la souffrance d’une femme, demie soeur de celle qu’il défendait. Il n’eut pas la moindre émotion devant ses larmes, alors que l’intruse laissa un moment sans voix maître Kiejman, visiblement touché par cette douleur de fille...
Je ne peux m’empêcher de citer le témoignage de Catherine Clément qui fut lu au tribunal, très émouvant lui aussi : “
Je connais et j’aime mon amie Judith Miller depuis plus de cinquante ans ; je connais aussi l’immense respect qu’elle porte à son père, respect que je partage. Pour autant, je n’ai pas senti la moindre offense faite à Judith Miller en lisant le dernier livre d’Elisabeth Roudinesco ; si tel avait été le cas, ayant eu les épreuves de ce livre avant publication, je l’aurai certainement fait remarquer à l’auteur de « Lacan, envers et contre tout ».
J’ai été stupéfaite de la très forte réaction émotionnelle de mon amie Judith, réaction provoquée sur le moment, m’a-t-elle dit, par la lecture qu’on lui a faite au téléphone d’un seul paragraphe de ce livre-le paragraphe incriminé. Il ne m’avait pas semblé, à aucun moment, qu’E.Roudinesco y visait la fille de Jacques Lacan, non plus que sa famille, ni qu’à aucun moment il ait été question dans ces lignes d’une trahison des vœux paternels.»
Judith a affirmé n’avoir pas lu la moindre ligne des écrits de Roudinesco (qu’elle connaît pourtant depuis l’âge de neuf ans) tellement ils lui font horreur. Mais pourquoi poursuivre en diffamation une ligne d’un texte sans avoir daigné lire même cette ligne qui lui fut lue au téléphone ? Ni de surcroît le texte en son entier.
Quelle folie, tout de même!

Mediapart

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